A l'occasion du mois européen de la cybersécurité, le Commandement Cyber Français a dévoilé en conférence et sur les réseaux sociaux sa devise : "Per Aether Pugnamus - A travers l'Ether nous menons le combat". Une bien intrigante devise sur laquelle nous allons nous pencher dans cette article.
La devise "Per Aether Pugnamus" dévoilée par le Général Olivier Bonnet de Paillerets |
Ether, Bitcoin et Coin
L'Ether. Les plus technophiles d'entre nous, brinquebalés par l'euphorie de l'an passé sur les cryptomonnaies, ont bien du se demander si ce cri de cyberguerre n'étant pas une tentative de clickbait ou de cryptoscam pour appâter le Candide à signer sa feuille d'engagement en pensant devenir riche comme Crésus (ou comme les frères Winklevoss). Entre référence direct à la monnaie Ethereum ou lyrisme sur le Bitcoin, le compte Twitter officiel du ComCyberFR (@ComcyberFR) n'a pas manqué de réparti et d'esprit en répondant à ces gazouillonautes.
Réponse de @ComCyberFR à l'Alexandrin "Et par le Bitcoin vous financerez vos soldats?" |
"Non seulement en coins". Une réplique très maline. Car si un coin désigne en effet une unité dans les cryptomonnaie, comme le rappelle le kaki communiquant un coin dans la tradition militaire a également sa propre signification. Appelé "pièce de défi" en France, les coin's sont des pièces de monnaies commémoratives d'une unité, qui auraient pu voir le jour durant l'empire romain, la guerre de sécession américaine ou la première guerre mondiale. Moins fiduciaire que symbolique, elles se développèrent au sein des escadrons, unités et commandements d'abord, puis le faible coût de l'estampe dans les années 1980 rendit possible sa production de masse et sa vente en surplus militaire. Et les défi (contest ou challenge en anglais) dans tout ça? Une légende et un jeu.
Durant la première guerre mondiale, un riche Lieu Tenant de l'armée de l'air américaine fit frappé des pièces en bronze pour son escadron. Peu après, lors d'un raid, son avion fut abattu et se retrouvant derrière les lignes ennemi. Captif, il réussit bien évidemment à s'échapper et à rejoindre la ligne de front. Il se présentant à un poste avancé français, sans identification et en habits civiles. Les braves franchouillards ne faisant pas la différence entre un accent américain, allemand ou mésopotamien, prirent le fuyard pour un saboteur et s’apprêtèrent à l’exécuter. Il leur présenta alors son jeton, estampillé de l'emblème de son unité que les français reconnurent. Il gagna ainsi un peu de temps pour faire confirmer son identité. De retour parmi les siens, cette péripétie aurait poussé tous les miloufs en détention d'un coin à le porter en permanence sur lui. La légende était née et un jeu émergea : si deux membres détenteurs du même coin se rencontrent, ils peuvent contester l'autre en présentant son précieux. En cas de nom réponse au challenge, le perdant devra payer sa tournée.
Cette tradition dépassa les frontières militaires et est particulièrement ancrée dans le monde cyber. Ainsi, par exemple, les gagnants des challenges des formations Digital Forensic & Incident Response du SANS reçoivent un coin "Lethal Forensicator". Le forensicator en déplacement picolant au moins tout autant que le loufiat en permission, la tentation est souvent très grande de contester un de ces pairs et de lever le coude gratuitement.
Qui sait, peut-être verrons nous un jour le CoinCyberFR arriver dans CoinMarketCap, en tant que crypto-jeton que l'on recevra en remportant un CyberRange, en croissantant l'ordinateur du CyberColon ou pour le prix du meilleur rasage avec une biscotte. Il semble que nous éloignons de notre sujet original, mais pas tant que ça. En effet cette boutade historique du Commandement Cyber Français démontre un gout pour les doubles voire triples sens ainsi que le maniement de l'essence militaire et des codes cyber.
L'âme quinte essence du cyber
De Caligine (Obscurité) et de Chaos sont nés Hemera (Jour), Nyx (Nuit), Erebus (Ténèbres) et Aether. C'est ainsi qu'est donnée la parenté de ce dieu primordial de la mythologie grecque selon Hygin. Aether est alors ce qui se trouve "au dessus" de l'air, physiquement, mais également au sens spirituel de "pureté". Aether épousa Hemera et engendra entre autre Gaïa, la Terre. Aether fertilisa Gaïa et de cette union naquit (outre l'inceste, les lamentations, Chronos, Rhéa, les titans ou les océans) le Combat.
Vers le 5ième siècle avant notre ère, le poète-ingénieur-philosophe-médecin Empédocle créé une doctrine cosmologique autour de quatre divinités grecques (Zeus, Hadès, Héra et Poséidon) qui sera respectivement formalisée par la suite par Aristote comme les quatre essences de l'univers : Le Feu, la Terre, l'Air et l'Eau. A cela se rajoute deux forces. L'Amour qui transforme le multiple en un et la Haine qui transforme l'un en multiple. L'Amour est ce qui lie les quatre éléments ensemble dans le Sphairos, la Haine est ce qui permet l'individualité des essences. Une mise en bouche à la théorie de la relativité d'Einstein et aux quatre interactions ("forces") fondamentales de l'univers ainsi qu'aux quatre états de la matière étant solide, liquide, gazeux et plasmique. Ce dernier état n'ayant été identifié qu'en 1920 par Irving Langmuir (Prix Nobel de chimie 1932) grâce aux travaux sur l'électromagnétisme de Maxwell au 19ième siècle. De manière d'autant plus étonnante (voire granguignolesque) Empédocle, Aristote et Platon ne s'arrête pas à ces quatre éléments et subodorent un cinquième, Lilou. Pardon, l'éther. Un élément entre l'air (essence) et le ciel (divinité), séparée des autres et d'une nature bien plus noble qu'eux : la quinte essence.
"Aristote [...] ayant d'abord posé pour principe de toutes choses les quatre éléments que tout le monde connaît, il en imagine un cinquième, d'où l'âme tire son origine. Il ne croit pas que penser, que prévoir, apprendre, enseigner, inventer, se souvenir, aimer, haïr, désirer, craindre, s'affliger, se réjouir, et autres opérations semblables, puissent être l'effet des quatre éléments ordinaires. Il a donc recours à un cinquième principe, qui n'a pas de nom; et il donne à l'âme un nom particulier, qui signifie à peu près mouvement sans discontinuation et sans fin."
Les Tuscunales de Cicéron, Livre 1, Chapitre 10 (lien)
L’attribution faite par Cicéron, puis les Pythogoriens, entre l'âme et l'éther est une fois de plus, avec notre regard moderne, particulièrement intriguant. Mettant de côté les considérations alchimiques sur l'éther, si nous nous intéressons aux mathématiques ou à la physiques dites classiques (que l'on pourrait grossièrement appeler de mécanique newtonienne), la collecte, traitement, transfert et stockage d'une information est gratuite (dans la monnaie de l'univers, l'énergie). Par exemple une planète tourne autour d'une étoile, influencée par diverses forces. Vitesse, mouvement circulaire et gravitation répondent à des lois que nous avons formalisées en équations mathématiques et dépendent en partie de la masse de cette planète. Cette masse est une propriété, une information. La "lecture" de cette information par le "grand ordre des choses" n'est pas comprise dans les équations de la mécanique Newtonienne.
And so What? Encore un fois, Maxwell arrivera à la rescousse avec son expérience de pensée dite du "Démon de Maxwell". Des particules lentes et rapides se promènent dans une boite, la vitesse est une propriété de la particule en mouvement. On ajoute un mur au milieu de la boite, avec une porte qui n'autorise que les particules rapides à rentrer dans la salle de gauche et une autre porte qui n'autorise que les particules lentes à rentrer dans la salle de droite. Cette porte est activée par un "démon" qui détermine si la particule est lente ou rapide. Avec assez de temps, ne se trouve dans la salle de droite que les particules lentes et dans la salle de gauche que les particules rapides, une hérésie d'un point de vue de la seconde loi de la thermodynamique qui dit qu'avec le temps dans un système autonome l'entropie (la mesure de la désorganisation) augmente et ce de manière irréversible. Or l'expérience de Maxwell montre l'inverse : avec le temps le système s'organise (son entropie diminue). Si les interprétations de ce paradoxe font encore aujourd'hui débat, le symptôme principalement admis est justement que ce démon informationnelle n'est pas gratuit. Cela doit donc être intégré dans les équations. C'est la une des racines de la mécanique dîtes quantique : la collecte, traitement, transfert et stockage d'une information à un coût.
Illustration de l'expérience de pensée du "Démon de Maxwell" |
Notons au passage que cette expérience de pensée est probablement un des premiers systèmes que l'on nommera plus tard système cyber-physique.
Tout quantum est ordonnateur
Ce démon nous en appelle à d'autres. Si l'observation, c'est à dire la captation et la mesure d'une information, modifie le comportement normal d'un système, pourrait-on alors supposer que ce n'est pas la lumière réfléchie sur un événement et capté par nos yeux qui nous donne la vision; mais que ce soit notre vision qui génère un faisceau lumineux générant l'événement? La simple observation d'un événement implique-t'il donc une inter-action entre un milieu, même passif, et un observateur, même passif? Revenons à Newton.
Après avoir balayé à la fin du 17ième siècle la cosmologie cartésienne, avançant que le mouvement des planètes est dû à de grands tourbillons d'éther soutenant leurs trajectoires et remplissant tout l'espace, Isaac théorise le concept de gravitation universelle. La force gravitationnelle se transmet instantanément d'un corps à l'autre, sur des distances quelconques, au travers l'espace, vide ou non. Mais cette transmission au travers du vide le fit gamberger quelques peu et il tarabiscota quelques peu. Il accoucha alors d'un "espèce d'esprit très subtil qui pénètre à travers tous les corps solides, et qui est caché dans leur substance; c'est par la force, et l'action de cet esprit que les particules des corps s'attirent mutuellement". Newton n’intégra jamais dans ces équations cet éther mécanique.
Il en va de même à cette époque pour la propagation de la lumière. Si le son se propage dans l'air, si l'onde se propage dans l'eau, alors la lumière doit se propager dans quelque chose! De Descartes à Huygens, cette théorie de l'éther dit subtil est repris par les Benjamin Franklin ou André-Marie Ampère pour rendre compte de manière unifiée des phénomènes électriques, magnétiques, optiques et calorifiques. Ampère définit alors un éther universel impondérable composé de deux courants électriques de signes opposés. Thomas Young, avec sa fameuse expérience des "Fentes de Young" qui mettra en évidence le caractère double corpusculaire et ondulatoire de la lumière, décrira en reprenant cette théorie la lumière comme la manifestation de la vibration d'un éther. Cependant ces éthers posaient quelques problèmes aux autres scientifiques et il fallu attendre que Einstein retrousse ses manches.
Mais avant de continuer, faisons un petit pas de côté sur ce grand homme qu'était André-Marie Ampère, père fondateur de l'électro-magnétisme.
En parcourant cette histoire de l'éther, nous pouvons sentir que ce cinquième élément combine à la fois des considérations théologiques et des considérations scientifiques. L'éther, géniteur de la Terre, origine de l'âme, esprit subtil et omniscient marionnettiste du "grand ordre de l'univers". Si, d'un point de vue scientifique, nous pouvions lire cet éther, nous aurions alors accès à toutes les variables et constantes de l'univers, nous atteindrions l'omniscience et donc la calculabilité des destins de tout objets de cet environnement. C'est ce que pensait notamment Newton, pour qui la détermination d'une disposition future de toute chose et tout être était calculable à la condition d'avoir accès à toutes les variables définissant cet objet dans son environnement. L'ère scientifique de la mécanique newtonienne est purement déterministe : "Il faut rechercher dans les phénomènes, par des méthodes inductives, les éléments qui réellement les constituent, les lois qui, en fait, les régissent, les enchaînements qui s'y rencontre". Philosophiquement, cela signifie que les mathématiques réfutent la possibilité d'un libre arbitre à cette époque.
Spirituel et scientifique, influencé par le philosophe empirique des sciences Francis Bacon, Pierre-Marie Ampère s'attache à l'écriture d'une sorte d'Encyclopédie du Savoir relatif et Absolu, qu'il sous-titre d'ailleurs comme une "Exposition analytique d'une classification naturelle de toutes les connaissances humaines". Un Wikipédia avant l'heure. Dans le tome 2 de son Essai sur la philosophie des sciences (1843), le chapitre 4 concerne les "sciences du troisième ordre relatives aux moyens par lesquels les gouvernements veillent à la sûreté extérieure des États et font régner dans leur sein l'ordre et la paix" avec un des enjeux principaux de "prévenir les désordres et les crimes, et tendre à l'amélioration, sous tous les rapports, de l'état social". Quatre sciences sont alors énumérées :
- L'ethnodicité, soit les traités de nation à nation
- La diplomatie, soit l'intéprétation des traités
- La théorie du pouvoir, sorte de précurseur à la Théorie des Jeux de Von Neumann
La quatrième science se définit comme "la connaissance de tout ce qui est relatif à la nation qu'il régit, à son caractère, ses mœurs, ses opinions, son histoire, sa religion, ses moyens d'existence et de prospérité, son organisation et ses lois, qu'il peut se faire des règles générales de conduite, qui le guident dans chaque cas particulier.". Une connaissance holistique qui, dans la lignée newtonienne, donne la capacité à son détenteur de constituer des lois mathématiques régissant le phénomène national et d'anticiper, prédire, les enchaînements d'événements. Le nom qu'il donna à cette science du gouvernement des hommes, est, la cybernétique.
1905, Einstein révèle sa théorie de la relativité restreinte, dans laquelle il réfute l'existence de l’éther via la notion d'équivalence totale des lois de la physique, quel que soit le référentiel, y compris électromagnétique et aux transmissions d'informations. En effet, la célérité, la vitesse maximale imagée sur celle de la lumière dans le vide, s'applique à tout. Il est donc impossible qu'une forme d'esprit soit omniscient comme dans l'éther de Newton car celui-ci serait également régit par les lois de sa théorie de la relativité restreinte. Einstein récidive en 1913 avec sa théorie de la relativité générale. Dans celle ci, le champ gravitationnelle est rigoureusement indépendant des variables d'espace et de temps et ces variables sont arbitraires, tuant toute notion d'esprit subtil qui contiendrait et transmettrait instantanément les propriétés des objets.
En 1916, suite à des échanges avec certains de ses pairs, il changera d'avis et créera même un "nouvel éther", non plus en mouvement donc ne contrevenant pas à la relativité restreinte, mais stationnaire et déterminerait le mouvement des objets physiques. Il finira par conclure en 1920 : "Selon la théorie de la relativité générale, un espace sans éther est impensable, car dans un tel espace non seulement il n'y aurait pas de propagation de la lumière, mais aussi aucune possibilité d'existence pour un espace et un temps standard".
Dans le même temps, Planck publie ses recherches sur la quantifications de l'énergie et Bohr révèle son modèle de l'atome. Une révolution est en route, c'est la fin de l'ère newtonienne déterministe et l'entrée dans l'ère quantique probabiliste. La nouvelle conception de l'electron ainsi que la mécanique ondulatoire amène l'avènement de l'électronique, de la télécommunication et de l'automatisme. La cybernétique de Norbert Wiener, qu'il définira en 1948 comme l'étude scientifique des messages d'information pour le contrôle des hommes et des animaux, naîtra côte à côté avec les travaux de ses amis de la Conférence de Macy sur les réseaux de neurones et l'Intelligence Artificielle.
Conclusion
L'éther, le nouvel éther, est toujours d'actualité en cosmologie dans les domaines de l'étude du vide (énergie noire) et de ces caractéristiques possibles (Champ de Higgs).Et dans le cyberespace? Quid ce cet univers dans l'univers, créé totalement par la main de l'homme? Quid de ce tissu opaque, liquide et instantanée qui a infiltré toutes les strates de notre société?
Rappelons nous notre précédent démon : peut-on supposer que la simple observation d'un événement implique une inter-action entre un milieu, même passif, et un observateur, même passif. Dans l'univers global, peut être pas, mais dans le cyber oui. Terre, Mer, Air, Espace, tous ces espaces stratégiques sont observables depuis un autre. Le Cyber change ce paradigme, car pour pouvoir observer le cyber, il est impossible de le faire depuis un autre espace, il faut y être à l'intérieur, il faut y être connecté, et donc notre simple observation, toute passive quelle soit, change sa disposition.
Un esprit subtil présent dans tout objet cybernétique, qui par sa force et son action les mettent en mouvement. L'éther cyber serait-il donc les configurations, les protocoles, les codes informatiques et leurs usages, dont nous sommes les Grands Créateurs? Où n'est-ce là que les quatre éléments fondamentaux, la quinte essence désignant finalement, l'Homme?
Emergeant de l'Ether, Gaïa sur écu français ancien, tranché d'une épée, au centre des quatre éléments (de mission) |